• MOHAMED ZAHZOUH témoigne.

    Par DDK | 31 Octobre 2018 

    MOHAMED ZAHZOUH, ancien officier de l’ALN

    «Quand Amirouche débarquait au Djurdjura…»

     

    Dans cet entretien, M. Zahzouh Mohamed, sous-lieutenant de l’ALN en 1962, revient sur les grandes batailles livrées par la compagnie du Djurdjura et sur les moments importants qui marquèrent son engagement dans les rangs de l’ALN alors qu’il n’avait que dix-neuf ans, dans son village natal d’Ath El-Kaïd.

     

    La Dépêche de Kabylie : Racontez-nous comment votre village a participé à la guerre de libération…
    M. Zahzouh Mohamed : Quand la guerre de libération nationale éclata, j’étais encore jeune. Mais je me souviens qu’un premier noyau de résistants était déjà formé politiquement dans notre village et n’attendait que le jour J pour prendre part à cette lutte. Ces militants parlaient déjà des révoltes au Maroc et en Tunisie. 22 d’Ighil Imoula, 3 d’Ath Ergane, 3 d’Ath Bouadou et 2 autres d’Ath Bouchnecha prirent part, dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, à des actions spectaculaires contre des intérêts coloniaux. Certains militants d’avant 1954 ont reculé, mais, petit à petit, beaucoup d’autres ont rejoint les rangs.

    Et par la suite ?
    Les premiers maquisards commencèrent à organiser la société et à recruter des jeunes. Beaucoup de Moudjahine ont témoigné que la lutte pour la libération du pays fut menée à 90% par des jeunes. A la fin de 1955, des jeunes, qui étaient dans les rangs de l’armée française et qui sont rentrés en permission, ont rejoint les rangs de notre armée, au mois de septembre. Je citerai entre autres Slimane Arezki, Salem Agad, Chabane Rabah, Chabane Irghane. Mais, je dirai que durant les deux premières années de la révolution, nous n’avions pas de force. Alors, nos moudjahidine procédèrent par des embuscades. La première embuscade tendue à l’armée française eut lieu le 8 août 1955 à Ighil Oumenchar du côté de Maâtkas. Elle s’était soldée par la mort de 18 soldats et la récupération de 18 armes.

    Parlez-nous de l’arrivée du colonel Amirouche au Djurdjura ?
    C’est en septembre 1957 que Si Amirouche est arrivé au Djurdjura, plus précisément à Tala Guilef. Il y avait avec lui quelques responsables comme Aissa Bouda de Bordj Bou Arredj et Amar Bouta d’Agouni Gueghrane. Il rencontra de nombreux responsables dont Hocine d’Ighil Imoula, Arezki Slimane, Si Moh Said d’Ath Voughradène et bien d’autres. C’était pour réorganiser la situation et c’est ce qu’il fit. Puis, des armes nous arrivaient et Slimane Bouchnecha organisa la Katiba (compagnie) du Djurdjura. C’était une compagnie de choc. Un mois ou deux après, Si Amirouche dépêcha une section d’Oued Ksari où il y a avait Si Ali Bennour (lieutenant militaire). Si Amirouche donna l’ordre à la compagnie de mener une attaque contre les militaires qui descendaient de Tikjda pour ouvrir la route et avec eux environ 50 à 60 prisonniers. C’était le 4 décembre 1957. Mais, celle-ci fut annulée parce que nous savions que ce n’était pas évident de sortir avec les prisonniers dans un terrain nu car l’aviation française allait nous bombarder si nous venions à réussir le coup.

    D’autres embuscades durant cette année ?
    Bien sûr, deux jours après, nous arrivâmes à Ath Ergane. Après des contacts avec Slimane originaire de notre village, il y avait ce jour-là Ali Moh Naâli (Ali Bennour), Amar Bouta, Si Slimane et Rabah Temmar (décédé le 16 mai 2018). L’accrochage était contre les harkis. Il fut soldé par la mort de 8 à 10 soldats, selon le témoignage d’un militaire français (Jean Fort). Une autre fois, ce fut à Tikjda le 7 décembre 1957 où décéda Ahmed El Hocine que nous avons enterré dans un ravin en allant à Tamda Ouguelmine. Bon, il y en eu a d’autres. Nous étions à Tala Guilef, entre 300 et 350 moudjahidine (compagnie, sections, groupes). Là, l’armée française utilisa pour la première fois le napalm en août 1956. C’était aussi la première fois que Said Mammeri recourut à l’arme que nous avait donnée le colonel Amar Ouamrane de la wilaya 4. Ayant appris qu’un ratissage se préparait, nous avons alors pris la direction de Mechtras puis d’Ath Imghour, ensuite celle de Maâtkas où chaque section prit un lieu bien déterminé entre autres Ihasnaouène, Taqavlith… C’était aussi une grande bataille. Si Slimane tomba au champ d’honneur. Arrivés à Tala Guilef, Seddik Oumehfi fut désigné chef de compagnie. Dans un autre accrochage, à Iâzounène, nous avons tué 5 harkis et récupéré des vêtements et des armes.

    Dda Moh, combien de fois avez-vous eu l’occasion de rencontrer le colonel Amirouche ?
    La première fois, c’était en juin 1958. Je fus chargé à l’accueillir à Ath Ergane. La deuxième fois, ce fut au mois d’août de la même année. Nous l’avions accompagné jusqu’à Tala Guilef. Il avait rapporté ce jour-là un poste de transmission. Il disait que c’était fragile, mais nous n’avions rien compris. Il resta 3 jours avec nous. Dans son discours avant de partir, il insista sur trois points : «Une fois avoir nettoyé nos rangs, ce sera l’indépendance (allusion faite à la bleuite), à l’indépendance, il faudra être vigilants, et puis, il ne faut pas que l’ALN regagne les casernes», nous a-t-il dit. C’était un message très clair.

    Quand avez-vous été blessé ?
    Exactement le 12 septembre 1958. C’est un miracle que je sois encore vivant. Ce jour-là, nous avons attaqué une cinquantaine de camions à Ath Ouacifs. Nous l’avons fait même si nous n'étions pas nombreux. Beaucoup de militaires sont tombés des camions mais nous ne savions pas exactement leur nombre. C’est une vieille qui me découvrit caché sous des couvertures. Nous avions affaire à une force très bien équipée. De village en village, jusqu’à Darna, l’infirmier Si L’hachimi de Tala Athmane me soigna. Arrivés à l’Akfadou, un médecin, Si Ahmed Ben Abid, de Bordj Bou Arréridj me fit un plâtre. Je suis revenu à Lemsla et suis resté à l’infirmerie pendant deux mois, puis un mois à Akfadou. Tous les blessés furent transférés vers leurs régions après que Si Amirouche donna l’ordre de quitter les lieux parce qu’il apprit qu’il allait y avoir un grand ratissage à Akfadou. D’ailleurs, dès notre sortie de l’Akfadou, les avions entrèrent en action. A Taourit Amrous, je fis la connaissance d’Abderrahmane Mira en mai 1959. Si Amirouche avait fait une réunion importante le 28 février 1959 à Ath Ouabane où il donna l’ordre de diviser les bataillons parce que l’armée française préparait une grande opération. Et il annonça qu’il allait en Tunisie, d’où il ne revint pas. Il tomba au champ d’honneur le 29 mars 1959. Je participai encore à une embuscade à la fin de 1961 et ma dernière eut lieu dans notre village, le 11 mars 1962. Nous avions arrêté dix-sept harkis sans les tuer.

    Un mot sur l’opération Jumelles?
    L’opération jumelle était cette force annoncée par Si Amirouche. La wilaya 3, à cette époque, fut encerclée. La situation était difficile. Mais, les moudjahidine avaient la volonté de vaincre ou mourir. Environ 7 000 moudjahidine sont tombés au champ d’honneur. Mais cette opération nous donna la force de nous organiser en dépit des difficultés que rencontraient les djounouds dans les maquis où les armes commençaient à manquer. Nous avons rallié tous les villages et redéployé l'organisation. A partir de 1959, ce sont les femmes qui continuèrent la lutte. Nous continuâmes ainsi jusqu’à l’indépendance, comme nous nous l’étions juré et l’avions promis à nos chouhada.

    Quel est l’événement dont vous vous souvenez le mieux ?
    Ce sont les événements du 11 décembre 1960. C’était un tournant décisif. A l’indépendance, je rencontrai Krim Belkacem à Boghni avec Mohamed Moussaoui (dont le lycée d’Ait Yahia Moussa porte le nom). Krim Belkacem me confia que les manifestations du 11 décembre étaient un événement important dans la lutte armée pour l'indépendance. C'est à ce moment-là que nous sûmes que le peuple algérien allait arracher son indépendance très bientôt. Après ces manifestations, beaucoup des nôtres qui s’étaient rangés du côté français ont rejoint nos rangs.

    Un mot pour terminer…
    Je m’incline devant la mémoire des chouhada et de tous les moudjahidine décédés après 1962, notamment Rabah Temmar et Ali Goucem décédés cette année. Paix à leur âme. Durant la guerre de libération nationale, ils furent des héros. La révolution algérienne fut unique au monde. Nous avons cassé la 4e République et ce n’est pas De Gaulle qui nous a donné l’indépendance. Pourquoi ne l'a-t-il fait en mai 1945 ? C’est le peuple algérien qui arraché son indépendance. Les jeunes d'aujourd'hui doivent en être convaincus. Gloire à nos martyrs et vive l’Algérie. 
    Entretien réalisé par Amar Ouramdane

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