• La face cachée des accords d’Évian (18 mars 1962)

    La face cachée des accords d’Évian (18 mars 1962)

    par Issa Diakaridia Koné

    Michel J. Cuny m’avait fait part d’une phrase écrite par l’un des négociateurs et signataires français des accords d’Évian qui ont mis fin à la guerre d’indépendance menée par le peuple algérien contre l’État français. Il s’agit de Robert Buron, par ailleurs ministre des travaux publics, des transports et du tourisme (1958-1962). Voici cette phrase qui jette un éclairage un peu surprenant sur ce moment essentiel de l’histoire de l’Algérie :
    « Les clauses politiques constituent autant d’entraves à la mise en application, dès la proclamation de l’indépendance, du programme socialiste arrêté par le F.L.N. » (Robert Buron, Carnets politiques de la guerre d’Algérie, Cana, 2002, page 242)

    Le socialisme rendu plus ou moins impossible par les accords qui libéraient le peuple algérien de 132 années de domination étrangère (1830-1962)… Je dois dire que j’ai eu du mal de le croire…

    Une seule solution : aller voir moi-même ce qu’il y avait dans les accords d’Évian. En profiter, également, pour me renseigner sur ce parti algérien dont on parle aujourd’hui encore : le F.L.N – Front de Libération Nationale.

    Les accords d’Évian font d’abord face à une urgence : mettre fin, au plus vite, à des combats qui, sous l’impulsion de l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète) menée par le général Salan, tournent à une guerre civile interne à la France, entre ceux qui veulent, à tout prix, conserver l’Algérie française, et ceux qui considèrent désormais, comme Charles de Gaulle, que le moment est venu de traiter sur une position militaire relativement forte… C’est ce que traduira le contenu des accords d’Évian qui se révèlent être une sorte de facture adressée au peuple algérien. Ce divorce, qu’il veut tellement, il va en payer le prix.

    L’article premier de l’Accord de cessez-le-feu en Algérie est ainsi rédigé :
    « Il sera mis fin aux opérations militaires et à toute action armée sur l’ensemble du territoire algérien le 19 mars 1962 à douze heures. » (Annuaire de l’Afrique du Nord, Algérie, 1962, page 654)

    Au-delà de l’Accord de cessez-le-feu, il y a une Déclaration générale, dont voici les deux premières phrases :
    « Le peuple français a, par le référendum du 8 janvier 1961, reconnu aux Algériens le droit de choisir, par voie d’une consultation au suffrage direct et universel, leur destin politique par rapport à la République française. Les pourparlers qui ont eu lieu à Evian du 7 mars au 18 mars 1962 entre le Gouvernement de la République et le F. L. N. ont abouti à la conclusion suivante. » (page 655)

    La démarche paraît être parfaitement démocratique : pour les deux pays, la population est consultée par référendum au suffrage direct et universel…

    En réalité, le déséquilibre est patent dès le départ : le peuple français « a reconnu le droit de choisir »… et il limite ce droit au fait, pour les Algériens, de devoir se prononcer selon un schéma qu’il leur impose : la « consultation au suffrage direct et universel »…

    Ensuite, je remarque que la France ne parle pas du G.P.R.A (Gouvernement provisoire de la République algérienne). Elle feint d’avoir traité avec un parti, le FLN (Front de libération nationale). C’est-à-dire que, selon la puissance colonisatrice – qui double sa force étatique par le suffrage de toute sa population -, il n’y a pas en face d’elle le moindre État algérien, pour l’instant… Il reste l’administration française et coloniale en Algérie… C’est, en tout cas, ce qui est sous-entendu. Nous devrions en trouver les conséquences par la suite…

    Je poursuis ma lecture de la Déclaration générale qui ouvre les accords d’Évian :
    « La formation, à l’issue de l’autodétermination d’un Etat indépendant et souverain paraissant conforme aux réalités algériennes et, dans ces conditions, la coopération de la France et de l’Algérie répondant aux intérêts des deux pays, le Gouvernement français estime avec le F.L.N. que la solution de l’indépendance de l’Algérie en coopération avec la France est celle qui correspond à cette situation. » (page 656)

    Ici, la possibilité de la formation d’un État algérien indépendant et souverain apparaît : ce qui montre bien qu’il n’existe pas encore… Cette possible formation ne fait que paraître « conforme aux réalités algériennes ». Ce qui veut dire qu’un doute très fort subsiste quant à la capacité, pour cet État potentiel, d’être aussi bien « indépendant » que « souverain »…

    Et voici qu’en bonne logique de la domination d’un État français indubitable et d’un État algérien possible, c’est-à-dire « dans ces conditions » où le premier se doit de servir de tuteur au second, celui-ci devra se soumettre, pour son bien sans doute, à « la coopération de la France et de l’Algérie répondant aux intérêts des deux pays ».

    C’est donc seulement lesté de cette coopération qui fixe son statut d’élève de l’État français, que l’apprenti État algérien pourra recevoir un statut fait d’une indépendance et d’une souveraineté restreintes par une nécessaire prise en compte, outre ses intérêts propres, de ceux de la France dont la « coopération » se retrouve greffée sur l’indépendance octroyée à l’Algérie par le peuple français…

    Je crois que le F.L.N. n’a jamais été dupe de la chose… Et que certains de ses dirigeants en ont ressenti une grande colère.

    Issa Diakaridia Koné

     

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