• Ahcène Belarbi raconte son périple en Nouvelle-Calédonie

    Ahcène Belarbi raconte son périple en Nouvelle-Calédonie

    Par DDK |23 FEV 2017

    Ahcène Belarbi raconte son périple en Nouvelle-Calédonie

    Sur les traces de mon aïeul déporté…

     
     

    Depuis sa conquête de la terre algérienne en 1830, la présence française en Algérie n’a jamais eu l’adhésion des Algériens. Le grand soulèvement de 1871 d’El Mokrani avait déjà soulevé l’acharnement du colonisateur à l’encontre des «insurgés». Les meneurs seront alors déportés par centaines vers le pacifique, plus précisément dans ses territoires d’Outre-mer, en Nouvelle Calédonie, distante de la France de 17 000 kilomètres. L’association des Oubliés de l’Histoire, créée il y a de cela quelques années, ne cesse d’œuvrer pour réhabiliter ces hommes oubliés de l'Histoire. Dans cet entretien, son président, El Hadj Ahcène Belarbi, raconte son dernier périple dans cette lointaine contrée sur les traces de son aïeul.

    La Dépêche de Kabylie : Tout d’abord, qu’est-ce qui vous a motivé à faire ce périple en terre calédonienne ?
    Ahcène Belarbi : C’est un devoir de mémoire. Puisque nous avons créé cette association, nous sommes tenus de faire ce travail. Ecrire l’histoire de ces hommes oubliés de l’histoire est l'un de nos objectifs essentiels. Parce que, si vous avez remarqué, personne ne parle d’eux sauf rarement à quelques occasions.

    Comment a été le voyage vers ce pays lointain alors que vous n’êtes plus dans vos 20 ans ?
    Pour une telle cause, on ne doit pas se décourager. Il est vrai que je suis un peu fatigué. Mais, je dois vous dire que nos aïeux qui étaient entassés comme des bêtes dans des bateaux de fortune et vétustes n’avaient pas le même confort que nous aujourd'hui qui voyageons en avion. C’était vraiment un grand plaisir de poser pied sur une terre où reposent nos aïeux et leurs descendants.

    Où a commencé votre visite ?
    Eh bien, je suis arrivé à l’île de Nou reliée à Nouméa par un pont. Bon, dans le temps ils étaient 151 Algériens à y arriver vivants. La plupart n’avaient pas tenu à cause des conditions inhumaines de leur déportation. Dans cette île, leurs descendants ont érigé une stèle à la mémoire de leurs aïeux. C’est vraiment extraordinaire. Quand j’y suis arrivé, j’ai fait ensuite un saut au cimetière où ils étaient enterrés et j’ai récité la Fatiha du Saint Coran. D’ailleurs, j’ai pu lire deux noms d’entre eux. Il s’agit d’Ali Galouze de Tizi-Gheniff et d’un autre dont je ne me souviens pas.

    Qu’avez-vous vu après ?
    C’est le château d’eau réalisé par les déportés et la conduite d’adduction longue de dix kilomètres. Ces deux ouvrages hydrauliques m'ont beaucoup impressionné et ils sont toujours fonctionnels. J’ai fait ensuite un détour au bagne de l’île des Pins. Vraiment, il est inimaginable de revoir les silhouettes de ces hommes croupissant dans des cellules de 2,50 de longueur sur 1,50 m de largeur et un mur épais de 50 centimètres. On y peut voir aussi les anneaux auxquels ils étaient attachés de jour comme de nuit. Il y avait cinq cellules à gauche et cinq autres à droite. Bon, ces cellules n’avaient qu’une ouverture à un mètre de hauteur avec bien sûr des barreaux renforcés. Ensuite, j’ai découvert la grande salle. De part et d’autre (à gauche et à droite), les murs portent des anneaux. Le tout est clôturé avec un mur d’enceinte de 50 mètres de long en plus d’une épaisseur de plus de cinquante centimètres. C’était abominable en imaginant ces pauvres déportés bougeant dans ces espaces réduits. Par ailleurs, j’ai même réalisé une vidéo montrant le débarcadère sur lequel ils étaient transportés. J’ai visité aussi le musée d’archives de la Nouvelle-Calédonie. Sa directrice a eu la gentillesse et l’amabilité de mettre à ma disposition tous les documents se rapportant à la déportation et aux concessions. Sur le premier registre que j’ai ouvert, je tombe sur la concession de mon arrière grand-père El Hadj Ahmed Ath Ouarab Ouyahia (Belarbi). Dès lors, j’ai pris contact avec le maire de Bourail pour me rendre à cette concession. Les responsables de la mairie m’ont orienté vers la capitale Nouméa afin de pouvoir obtenir des renseignements sur ce lieu.

    Sans soucis ?
    Non, pas du tout. Son propriétaire a accepté volontiers de me faire visiter cette concession. Il m’a pris en pleine brousse. Arrivé sur les lieux, il a déployé les plans. C’est une concession de 33 hectares et 40 ares étagée sur une longueur de 1650 mètres et une largeur de 200 mètres. D’ailleurs, j’ai saisi l’occasion et je l’ai prise en vidéo. J’ai aussi visité le cimetière de Nessadioui dont je conserve les vidéos. C’est pour vous dire que mon voyage n’a pas été aussi aisé mais toutefois passionnant.

    Qu’est-ce que vous avez fait de particulier ?
    Avant que je n’oublie, je vous dirai que j’ai rempli une petite bouteille de terre que j’ai ramenée en guise de souvenir en Algérie. C’est un élément très important quand on évoque la terre. Un descendant d’un déporté de Sidi Bel Abbes m’a contacté pour me faire ce récit émouvant. Il s’agit d’un de ces déportés qui maîtrisait bien la chariâa (loi islamique). Il m’a raconté que les déportés n’allaient pas en justice pour régler leurs problèmes et leurs différends. C’était cet homme vénéré par tous qui le faisait. D’ailleurs, tout le monde se soumettait à ces décisions. Un tombeau fut alors érigé à sa mémoire. On peut y lire son nom : Sidi Moulay L’Bachir. Aujourd’hui, même si une dispute éclate entre les descendants, ceux-ci se rendent sur sa tombe. On y dépose même des pièces d’argent sur son tombeau en guise de respect et de vénération. C’est un cimetière où sont enterrés aussi bien les descendants musulmans que les descendants chrétiens.

    À Bourail, on dit qu’il y a une mosquée construite par les déportés. Est-ce que vous avez eu des renseignements à ce sujet ?
    Cette mosquée est l’œuvre d’El Hadj Mohamed Seddik Taouti. D’ailleurs, elle porte son nom. On m’a raconté que cet homme, originaire de Laghouat, était président de la banque islamique à Djeddah (Arabie Saoudite). Il s’occupait de la construction de mosquées en Malaisie, en Indonésie et dans d’autres pays musulmans lointains. C’était un descendant qui vivait en Calédonie qui l’avait contacté afin d’y construire une. Cet homme avait accepté. Mais, malheureusement, elle n’a vu le jour qu’après sa mort. D’ailleurs, à son inauguration, son fils et sa veuve se sont rendues sur place et l’ont baptisée de son nom. J’ai profité aussi de visiter le bagne de Bourail. Celui-ci ne diffère pas de ceux que j’ai déjà décrits. C'est sinistre et lugubre comme endroit.

    Après avoir été libérés, comment ces déportés ont-ils fondé des foyers ?
    Ils s’étaient mariés à des femmes canaques et à celles de déportés communards. Malheureusement, les instructions données aux dirigeants de l’île les forçaient à christianiser leurs enfants faute de quoi, ces derniers ne seront pas admis à l’école. Actuellement, ils forment une communauté de 50 000 habitants sur les 350 000 que compte l’île.

    Considérez-vous que vous avez achevé votre périple ?
    Pas du tout ! Je n’ai pas visité le Nord du pays. Mon prochain souhait est de faire toute l’île. Néanmoins, j’ai eu cette chance de visiter ces lieux ô combien importants dans l’histoire de nos déportés et de leurs descendants. Je ne peux tout vous raconter. J’ai eu aussi la chance de m’exprimer dans des émissions de la télévision NC 1, de la radio et de la télévision locales ainsi que dans le journal «Les Nouvelles Calédoniennes». Le journaliste m’a sollicité de donner un titre à l’émission et j’ai proposé : «Un Algérien sur les traces de son aïeul déporté politique en Nouvelle Calédonie».

    Avez-vous d’autres projets ?
    Beaucoup de recherches nous attendent pour justement reconstituer cette époque douloureuse de notre histoire parce que ces Algériens ne sont pas reconnus à ce jour. Prochainement, j’irai en France où je créerai l’association entre des déportés algériens et des communards de France. Que Dieu le Tout Puissant nous donne la santé et la volonté nécessaires pour aller à la quête de tout ce qui manque pour la reconstruction de ce puzzle. Jusqu’à présent, on peut dire qu’un grand pas est déjà franchi.

    C’est votre mot de la fin ?
    Je saisis cette occasion pour demander aux hautes autorités du pays de reconnaître le combat des insurgés des insurrections de 1871, de 1945 et toutes les autres en leur accordant le statut de chahid, ne serait-ce que sur le plan moral. Par ailleurs, je demande aux responsables de notre pays de faciliter l’entrée dans notre pays aux descendants de ces déportés voulant avoir des nouvelles de leurs ancêtres d’une part, car, aujourd’hui, une fois arrivés à Paris, ils attendent plus de quinze jours pour obtenir ce sésame, et d’autre part, leur octroyer le passeport algérien s’ils le souhaitent. Enfin, il est attendu de nos hautes autorités de rapatrier tous les crânes des insurgés d’avant 1954 encore déposés au musée de l’Homme à Paris. Gloire à nos martyrs et vive l’Algérie.

    Entretien réalisé par Amar Ouramdane

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  • Commentaires

    1
    Aïcha
    Jeudi 15 Juin 2017 à 01:06
    Félicitations pour votre démarche.le Passé est passé mais le Devoir de Mémoire et la Transmission à nos enfants,sont indispensables à leur construction.les injustices et violences ont peuplées notre Histoire,transmettons,sans haine,la connaissance,pour continuer à avancer.merci pour ce témoignage.
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