• Mohamed Boukhobza le Skikdi de Cayenne De « Papillon »à Zhor Ounissi

    Mohamed Boukhobza le Skikdi de Cayenne

    Mohamed Boukhobza le Skikdi de Cayenne De « Papillon » à Zhor Ounissi

     

    Ceux qui habitaient près du conservatoire de Skikda et ceux qui fréquentaient le CEM Lamrani au courant des années 1980 doivent certainement se rappeler de lui. Lui, c’est Mohamed Boukhobza, ce centenaire qui, chaque matin que Dieu faisait, aimait à poser son tabouret sur le trottoir du conservatoire pour réchauffer son vieux corps au soleil.

    Il lui arrivait de menacer avec sa canne les petits garnements qui jouaient à le narguer. Hormis ses quelques proches, personne n’était alors au courant des bribes et des secrets de la vie singulière de cet homme. Une vie longue de 109 années qui le mènera de Stora à Cayenne, le bagne, où il consuma une bonne partie de sa jeunesse. Certes, il n’est pas l’unique déporté de Skikda mais les péripéties qui ont jalonné sa vie méritent d’être racontées. Les voici. Mohamed est né à Douar Oued Sensla en 1880.

    La pauvreté qui minait l’indigène qu’il était le poussa à regagner la ville de Skikda où il sera embauché par un colon français dans les vignobles qui longeaient à cette époque les hauteurs longeant l’actuel Oued Griva, non loin de Stora. Il y passa quelques années de sa vie à travailler. Sa famille essaye de le marier, mais rebelle déjà, il congédia sa jeune épouse deux mois seulement après ses noces. Puis vint le jour qui changera à jamais sa vie. C’était au mois de juillet 1919. Mohamed avait alors 39 ans lorsqu’il était allé sur les champs réclamer ses sous auprès du colon qui l’employait.

    Ce dernier lui refusa son dû et le chassa de ses terres. Furieux et humilié, Mohamed se précipite directement au domicile du colon pour y tabasser son épouse et subtiliser sept armes à feu qu’il emporta avec lui à bord de la charrette de son employeur. Au moment où il était en route vers son douar natal, il fut rattrapé par les soldats français qui l’encerclent. Il prend l’une des armes volées et tente de se défendre mais le fusil n’était pas chargé. Il fut arrêté et présenté le 19 décembre 1919 devant la cour criminelle de l’ancienne Philippeville.

    Boukhobza Mohamed Ben Amar fut condamné aux « travaux forcés à perpétuité pour vol qualifié et tentative de meurtre » comme le mentionnent des documents d’archives. Il est aussitôt transféré à la prison d’El Harrach et de là, on l’embarqua, en date du 21 octobre 1921, sur le Steamer Duala en direction de Cayenne. Là-bas, il vivra les mêmes exactions que les 1980 autres « forçats » algériens qui, à cette date et, depuis 1865, commençaient déjà à emplir les bagnes infectes de Cayenne et de Saint-Jean du Maroni. La vie de Boukhobza à Cayenne, comme d’ailleurs celle de tous les Algériens, ne devait a priori pas être facile.

    Elle était certainement plus dure et plus rude du fait de ses origines. Les surveillants des bagnes jugeaient à l’époque qu’« un forçat ça ne vaut pas cher mais ces gars-là (les Algériens)) valent encore moins… », comme le rapporte Eric Fougère dans Le grand livre du Bagne. Les arrières- petits-neveux de Mohamed restent très vagues au sujet du passage de leur ancêtre à Cayenne. Ils ne se souviennent que de quelques bribes : « Ma mère, une vieille femme, nous racontait que Mohamed se plaisait surtout à revenir et avec ironie sur son arrestation en 1919. Elle nous disait aussi qu’il parlait beaucoup de Papillon, le fameux évadé de Cayenne. » On n’en saura pas plus.

    Ce qui est chronologiquement avéré, est que Boukhobza était déjà à Cayenne lorsque Henri Charrière, alias « Papillon » débarqua sur l’île en 1931 avant de parvenir à s’évader en 1944. Durant ces treize longues années, les deux hommes se seraient certainement croisés, d’autant plus que Boukhobza Mohamed, avait déjà une certaine notoriété. Il s’était évadé du bagne bien avant Papillon. En effet, et selon sa fiche de mutation, une sorte de fiche de suivi, du bagne, on relève que Boukhobza est parvenu à s’évader le 25 novembre 1926. Il sera néanmoins arrêté plus tard et ramené aux geôles.

    Avait-il raconté son aventure à « Papillon » ? Peut-être. Et même si Papillon a su tirer de son histoire d’évasion de la prison maudite en 1944, d’autres « forçats » algériens l’avaient précédé, mais sont restés malheureusement dans l’anonymat. Selon les archives du bagne, et jusqu’à l’année 1920 seulement, ils étaient plus de 400 Algériens à avoir réussi à s’évader de cet enfer. Ils seront, dans leur globalité, arrêtés mais certains, une dizaine, avaient tout de même réussi à revenir en Algérie. Pour revenir à Boukhobza, on apprendra en consultant ses fiches de forçats qu’il n’était pas du genre docile. Il fut rétrogradé à maintes reprises et ne bénéficia d’aucune remise de peine. Quand avait-il été libéré ?

    Selon ses proches, il racontait, avec une certaine fierté, qu’il avait passé 27 ans au bagne, ce qui laisse supposer qu’il fut libéré ou transféré vers d’autres prisons algériennes en 1948. Cette dernière hypothèse reste la plus plausible puisqu’on ne retrouvera ses traces à Skikda qu’après l’indépendance quand il était revenu habiter d’abord au bidonville de Bouabbaz, puis à Beni Malek auprès de sa famille. Il habita avec eux à Château Bengana (Dar Meriem) pour quelque temps, puis les accompagna au Conservatoire où son parent travaillait comme gardien. Il a aussi transité par l’hospice (maison des vieillards) où il passait sa journée avant de rentrer, le soir, auprès des siens. Puis, en 1983, il fit la rencontre de Mme Zhor Ounissi, alors Ministre des Affaires sociales lorsqu’elle était venue visiter l’hospice.

    D’anciens employés des lieux témoignent que c’était lui, âgé alors de 103 ans, qui avait accueilli la ministre en récitant des versets du Coran. Touchée, en apprenant son histoire, elle lui demande de connaître son vœu le plus cher. « Je veux faire le pèlerinage à La Mecque », répondit Mohamed. Son vœu sera exhaussé. Revenu à Skikda, en dépit de son âge avancé, et têtu comme il l’a toujours été, il préférait gagner sa vie en vendant du souak (écorce de noyer qui sert à blanchir les dents) aux bonnes dames en visite à l’hôpital de la ville. Et c’est dans ce même hôpital qu’il rendit l’âme le 21 mars 1989 à l’âge de 109 ans.

    Khider Ouahab

    El-Watan

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