• DDA BELKACEM U MECHRASS

    Par DDK | 20 -08-2016

    DDA BELKACEM U MECHRASS, UN CONDAMNÉ À MORT, RACONTE LA GUERRE D’ALGÉRIE

    L’attaque contre la caserne sous les youyous…

     

    Dda Belkacem de Mechtras, au sud de Tizi-Ouzou, est un ancien condamné à mort par l’armée coloniale pour «atteinte à la sûreté de l’État et participation à des actes terroristes.»

    Le destin a voulu autrement, puisque M. Cheballah a bien vecu l’indépendance du pays. Aujourd’hui, âgé de près de 90 ans, malgré la maladie et le poids des années, il fait un retour très lucide sur la guerre d’Algérie. Avec lui, le dialogue est facile. L’écouter raconter la guerre d’Algérie sans discontinuer, avec des détails, des révélations et des témoignages poignants, était captivant. Dda Belkacem déclare d’emblée sans cligner des yeux : «Au déclenchement de la guerre, j’étais en congé ici au pays. La situation était difficile et très dure. J’ai dû retourner en France après mes vacances pour reprendre mon travail à l’usine de voiture SIMCA. Mais la situation devenait complexe là-bas. L’Algérien était très mal vu. Le racisme et la répression étaient au menu quotidiennement. Deux ans après, j’ai pris la décision de rentrer au pays pour participer à la libération du pays. L’injustice, la férocité de l’occupant, la pauvreté et la famine faisaient souffrir le peuple. En avril 56, dès mon arrivée, j’ai pris attache avec le moudjahid El Hadjen Ali. Je savais que son frère était monté au maquis mais, il m’avait dit qu’il était à Alger, précaution oblige. De fil en aiguille, on a réussi à former un groupe de Moussebline à travers la région de Mechtras.

    Quatre attentats à Boghni pour commencer

    «Notre groupe de Moussebline, en plus de couper les poteaux électriques et les routes, a organisé quatre attentats à Boghni contre les éléments de l’armée coloniale et les traîtres. Le garde champêtre de Boghni a été grièvement blessé par l’un des nôtres, chargé de le liquider. L’attentat contre le docteur Mikel était aussi l’œuvre de notre groupe. Il y a aussi l’assassinat d’un autre traître, mais hélas il y avait erreur car celui chargé d’exécuter la sentence s’est trompé de cible en s’attaquant à son frère. Dans cet attentat, c’est notre Moussebel qui a été tué car son arme était défaillante et le traître avait un pistolet que lui avait offert la France. Il a vidé son chargeur sur notre chahid», racontera-t-il. Notre interlocuteur prend une gorgée de café et semble remonter le temps pour se remémorer les tragiques événements de 58, où il s’est fait arrêter à Alger. «En 1958, je ne me souviens plus des dates exactes, deux de nos jeunes furent convoqués pour aller faire leur service national sous les couleurs de l’armée Française. Les deux jeunes ne savaient quoi faire. Ils sont venus nous consulter. À mon tour, j’ai informé le chef de secteur qui a accepté de les engager dans les rangs de l’ALN mais à condition de faire leur preuve, en organisant des attentats à la grenade au niveau de la capitale Alger. Il m’a remis les deux grenades et indiqué les lieux où doivent être jetés les grenades à Alger. Les deux jeunes étaient d’accord et ont pris la direction d’Alger. Un mois plus tard, aucun attentat à la grenade n’a eu lieu. Le chef m’a contacté alors pour récupérer les grenades. Je suis descendu sur Alger à mon tour à la recherche des deux jeunes. J’ai appris que l’un d’entre eux s’est déjà engagé avec l’armée coloniale et le second était toujours à Alger, j’ai pu le retrouver grâce à des connaissances», dira-t-il et de préciser : «En me voyant, le jeune a promis de jeter la grenade le lendemain au lieu convenu. En effet, le lendemain, l’attentat a bien eu lieu à Belcourt comme prévu et malheureusement le jeune a été tué».

    Son arrestation

    Pour retourner à Mechtras, ce n’était pas facile car j’étais déjà recherché. J’ai dû me cacher et passer trois nuits dans une carcasse de voiture abandonnée. Mais à la 3ème nuit vers 23 heures, les soldats français m’ont encerclé et capturé. J’ai était emprisonné à la corniche d’Alger où j’ai subi les pires tortures pendant 29 jours. On m’a ensuite transféré à la prison d’Aïn Ouessara. Vers la fin de 1959, avec un groupe de six amis combattants, nous avons creusé un tunnel sous la prison et on a pris la fuite. J’ai pris le commandement du groupe. Pendant la nuit, on courait et durant la journée on dormait pendant trois journées sans manger et sans boire. Nous avons ensuite rencontré une famille qui nous a orientés vers les maquis de Berouaghia. Une fois avec les Moudjahidine, on m’a chargé d’être le commissaire politique à Djebel Bougoudel, dans la wilaya de Médéa. Au chef, j’ai dit comment me nommer commissaire politique alors que vous ne me connaissez pas ? Il a rétorqué : «Djerdjer yech’hed alikoum». Lors de l’une de nos actes révolutionnaires, j’étais blessé au ventre (Il garde encore la cicatrice). Je me suis fait encore prendre par l’armée coloniale et ils m’ont jeté à la prison militaire de Sour El-Ghozlane. Une fois rétabli, on m’a transféré une nouvelle fois à la prison de Médéa. Le tribunal militaire m’a ensuite condamné à mort. Je n’ai quitté cette prison qu’à l’indépendance du pays. En sortant de prison et en arrivant à Mechtras, tout le monde était venu m’accueillir. Il y avait aussi tous les enfants mais mon petit Mohamed n’y était pas. Je l’ai beau cherché, mais je ne l’ai vu nul part. J’ai demandé à ma femme où est il passé ? Elle m’a appris qu’il était mort en 1959, il avait juste 10 ans. Je me suis alors rappelé qu’en prison, j’avais rêvé de lui à deux reprises alors que j’essayais de le retenir, lui il s’envolait. J’en ai souffert comme on ne peut le décrire, j’éprouve de la peine encore aujourd’hui». Dda Belkacem n’a pu retenir ses larmes.

    45 hommes tués en une semaine en 1957 à Mechtras

    Notre interlocuteur avait besoin de souffler pour reprendre ses esprits. Un verre d’eau, une gorgée de café et il repart dans son passé de guerrier. «En 1957, je ne me souviens plus du mois, l’armée coloniale a abattu et fusillé 45 Mechtrassiens en une semaine, dont 28 en une seule journée. On parlait même de la capture d’un Mechtrassien qui est passé aux aveux. L’armée coloniale a, du coup, encerclé le tout Mechtras. Tous les hommes en âge de porter les armes furent arrêtés et emprisonnés à l’actuel CFPA qui était une caserne française. Après des tortures, 45 Mechtrassiens sont condamnés à mort. Cette fois, les soldats de l’occupation n’ont pas réussi à me prendre. Je me suis terré dans une vieille habitation en ruine avec un ami. Ils sont bien arrivés dans cette vieille bâtisse, ils ont commencé à chercher et avec mon ami qui a déjà mis le doigt dans la goupille de sa grenade et moi le doigt sur la gâchette, les recherches se sont arrêtées subitement suite à un coup de sifflet, tous les soldats ont regagné leurs postes. C’est comme ça que nous avons eu la vie sauve», ajoutera-t-il encore. Et de continuer : «Durant la même semaine, 45 hommes ont été tués et 28 en une seule journée. Les fusillades collectives se poursuivaient. C’était atroce et apocalyptique. Tout Mechtras et toute la région étaient endeuillés. Le moral du peuple était au plus bas. Il fallait faire quelque chose les jours suivant pour montrer que la guerre continue et surtout remonter le moral de la population.

    Tirs nourris sur la caserne et youyous en pleine nuit

    Avec le capitaine Si Aïssa et 35 autres Moudjahidine, nous avons, de nuit, organisé l’attaque de la caserne de Mechtras. La caserne encerclée et feu à volonté ! Les soldats étaient pris comme des lapins. Toute la nuit, la caserne a été arrosée de balles et d’obus sous les cris d’Allah Akbar et les youyous des femmes. Nous n’avons, bien sûr, aucun bilan car tout était soigneusement caché par l’armée coloniale. Aucune information n’a filtré sur le bilan de l’opération. Ce qui mérite d’être signalé par contre, ce sont les youyous des Mechtrassiennes lorsqu’elles ont compris que c’est l’ALN qui était en opération. Une opération qui a redonné courage et espoir à la population». Pour revenir à ces journées de geôles et du couloir de la mort, Dda Belkacem se rappelle : «Notre chef nous disait que lorsque vous entendrez la clé pénétrer dans la serrure de votre cellule, sachez que la sentence allait être exécutée. Il faut être courageux et affronter la guillotine en criant Allah akbar, tahya el Djazaïr, ana n’mout oua tahya bladi, ech hed ya barberous». Aux jeunes d’aujourd’hui, Dda Belkacem dira : «Les jeunes ne sont pas entièrement fautifs. Ils doivent se réveiller car la France a mis d’autres mécanismes et de nouvelles formes de colonisation, à savoir le système de la double nationalité et des papiers. À ce rythme, la France reprendra les commandes en Algérie dans quelques décennies. Il faut être intelligent pour déjouer ce complot. Nous n’avons pas le droit de brader ce pays pour lequel des millions d’hommes de grandes valeurs se sont sacrifiés. Vive l’Algérie !

    Témoignage recueilli par Hocine Taib.

    « Du volontariat chaque vendrediLes chemins fermés de Mechtras. »
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  • Commentaires

    1
    Muhend U Mechras
    Samedi 20 Août 2016 à 13:03

    La lecture terminée, je constate que c'est sa guerre qu'il a racontée. Soixante ans après l'indépendance, on croit toujours que la France veut de nous. 

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