• JEAN EL MOUHOUB AMROUCHE

    Un Jugurtha mal récompensé

    Par DDK |14/4/2016

    EVOCATION JEAN EL MOUHOUB AMROUCHE, DÉCÉDÉ LE 16 AVRIL 1962

     

    54 ans après son décès, l’un des plus grands écrivains que l’Algérie eu enfantés, Jean El Mouhoub Amrouche, n’a pas encore intégré le panthéon de l’Histoire algérienne, nonobstant le parcours hors pair de celui qui fut un fervent défenseur de l’Algérie sous le joug du colonialisme français.

    Cette figure qui compte symboliquement dans le panorama algérien est inexistante dans la réalité. Pourtant, Jean Amrouche a consacré sa vie, son œuvre, sa passion et sa raison d’être au service d’une seule et unique cause, l’Algérie, comme il l’écrivait en 1960. Né en 1906 à Ighil Ali, dans versant Sud de la Soummam, Jean El Mouhoub Amrouche est un algérien kabyle issu d’une famille convertie au catholicisme. D’une mère (Fathma-Marguerite, romancière), elle-même née illégitime et convertie au christianisme dans un pays qui ne répugne pas à la dénonciation de l’apostasie, Jean (El Mouhoub) commença à écrire dès les années trente. Sa vie durant, il n’eut de cesse de guerroyer bec et ongle contre la déchirure d’une conscience écartelée entre l’âme d’une origine (Algérie) et l’esprit d’un pays d’adoption (La France). En 1910, sa famille a plié bagage pour s’installer à Tunis, où il obtint la nationalité française. Son amour grandissant pour la littérature française s’est vite concrétisé par une maitrise de la langue de Molière, et sa double culture n’était pas pour rien. Imprégnée d’une culture berbère et française au même temps, a fait naître en ce poète chevronné, une sensibilité et un regard lucide qui lui ont valu le respect et l’admiration. La quête mystique de Jean El Mouhoub pour trouver le juste milieu entre ces deux cultures n’a fait qu’accentuer le sentiment d’être un éternel exilé. Kabyle, Algérien, Français et chrétien, autant de facteurs qui font que Jean se sentait étranger et des Algériens et des Français. Il se sentait méprisé par certains acteurs politiques des deux rives. À la fois «Jean» et «El Mouhoub», enraciné dans la culture française autant que dans le sol d’Algérie, kabyle, algérien et français, révolté par son statut «d’intellectuel colonisé», Jean Amrouche cultivait magistralement cette double culture, jugée indissociable. Il a su incarner la quintessence de ces deux univers communautaires que tout opposait à cette époque-là. C’est au milieu des années 1930 que Jean commença à éditer ses premiers recueils de poésie : Cendre (1934), Étoile secrète (1937) et Chants berbères de Kabylie (1939). Pendant la deuxième guerre mondiale, «Jean l’Africain» s’est lié d’amitié avec André Gide, un homme de lettres français connu et reconnu mondialement. Cette nouvelle rencontre l’a initié aux milieux gaullistes à Alger. En 1943, avec le soutien infaillible de cet éternel ami, André Gide Jean Amrouche fonda la revue L’Arche publiée par les éditions Charlots à Alger. Les racines berbères étant ancrées à jamais dans l’esprit du natif d’Ighil Ali, il se concentra sur un essai consacré au légendaire roi berbère «Jugurtha». La nouvelle revue L’Arche l’a énormément aidé pour être au firmament de ses nombreuses œuvres. C’est au sein même de la revue que naquit son essai l’ «Eternel Jugurtha». Les massacres du 8 mai 1945 sont un tournant décisif dans la vie de celui qui refuse d’être un assimilé en se consacrant corps et âme pour faire reconnaitre les droits de ses frères. L’érudition de ce talentueux intellectuel l’a amené à exceller dans divers domaines. Il est l’inventeur d’un nouveau genre radiophonique. Entre 1948 et 1958, Jean s’entretenait avec les grands hommes de lettres et philosophes de son temps, entre autres : André Gide, Paul Claudel, François Mauriac, Giuseppe Ungaretti. Jean a pu s’imposer par un style propre à lui, et qui s’est avéré efficace à en juger les témoignages de ces invités. C’est avec la conscience d’un être déchiré jusqu’aux entrailles que l’enfant de la Soummam appréhende l’éclatement de la guerre. L’impossible accord entre colonisateur et colonisé imprégna en Jean El Mouhoub la conviction du caractère inéluctable du conflit : «Je ne crois plus à une Algérie française. Les hommes de mon espèce sont des monstres, des erreurs de l’histoire. Il y aura un peuple algérien parlant arabe, alimentant sa pensée, ses songes, aux sources de l’Islam, ou il n’y aura rien. [...] Le peuple algérien se trompe sans doute, mais ce qu’il veut, obscurément, c’est constituer une vraie nation, qui puisse être pour chacun de ses fils une patrie naturelle, et non pas une patrie d’adoption.». Les connivences et confluences culturelles qu’incarnait Jean Amrouche le déchiraient davantage. Étant imprégné d’une culture algérienne de Kabylie et de culture française, il refusait d’être assimilé à une seule culture, mais se revendiquait des deux. Rien que son prénom, Jean et El Mouhoub, se pose à la confluence des deux cultures susdites. Au fil du temps, sa double culture lui confère un rôle de centripète cherchant à jouer le rôle de médiateur et de réconciliateur. Il résumait tout cela dans une simple phrase, mais qui s’avère au sens exhaustif et profond. «La France est l’âme de mon esprit, et l’Algérie est l’esprit de mon âme.» Dans le même sillage, il disait qu’ «à force de tâter toutes les blessures de la différence, de vivre déchiré sur le tranchant qui césure le nous des autres, je finis par être mal assuré de mon identité. Je sais mieux, si toutefois j’avais pu l’oublier, qui sont mes frères : ceux qui confessent Dieu et reconnaissent l’homme.». La guerre d’Algérie le tourmenta à un plus haut degré. Il disait dans l’un de ses poèmes écrits en 1956 : «Des hommes meurent et des hommes tuent, ces hommes sont mes frères…». Après avoir puisé toutes les voies possibles de réconciliation, Jean El Mouhoub se tourne vers son ami de Gaulle, qui représente à ses yeux la seule issue pour cesser la guerre entre les deux peuples. Les idées convergentes des deux hommes les ont rapprochés davantage. Au demeurant, le général de Gaulle a fini par chanter la ″chanson″ de Jean Amrouche comme il le lui a confié amicalement auparavant. Jean était de loin le meilleur porte-parole du peuple algérien. Sa détermination n’a pas fléchi d’un iota, car il avait la ferme conviction qu’un peuple opprimé se délestera forcément du joug colonial. «Les musulmans d’Algérie ne veulent plus qu’on parle d’eux à la troisième personne, ils veulent parler d’eux-mêmes à la première personne», insistant sur le fait que l’indépendance de l’Algérie est une condition sine qua non pour mettre fin au non-respect des droits de l’homme, aux massacres perpétrés quotidiennement contre le peuple autochtone… en raison de sa position contre la poursuite de la guerre en Algérie, et suite à son allocution à la salle de Wagram, Albert Camus a pris ses distances avec Jean en rompant le dialogue avec lui, et allant même à le traiter de «dangereux sophiste». Ce rêve pieux qui lui est si cher, l’indépendance, Jean ne l’a pas vécu. Il décède le 16 avril 1962 suite à un cancer du pancréas, et ce, quelques semaines après les accords d’Evian. Véritable homme de paix, il a su réunir les deux parties autour de la nécessité de reconnaitre l’indépendance de l’Algérie, chose faite suite aux accords d’Evian. «Jean Amrouche fut une valeur et un talent. Par-dessus tout, il fut une âme. Il a été mon compagnon», disait Charles de Gaulle au jour même de la mort de Jean. Même si Jean El Mouhoub n’a pas eu la chance de voir son pays indépendant, ses œuvres resteront à jamais gravées dans la mémoire collective. Cet homme visionnaire, dont les écrits sont une véritable catharsis, une sorte d’exuvie, l’Algérie se doit de lui rendre ses lettres de noblesse que d’aucuns peuvent nier. Plus de cinq décennies après le décès de Jean Amrouche, l’Algérie officielle ne reconnait pas ou ne veut pas reconnaitre cet intellectuel, et lui rendre un hommage digne des grands hommes ayant marqué l’histoire de l’Algérie.

    Bachir Djaider

     

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