• Le Matin /10 janv 16/Mohamed Khider et Aït Ahmed

      

    Mohamed Khider et Aït Ahmed, l’opposition et le trésor du FLN

    Tarik Khider
      Tarik Khider

    Tarik Khider, fils de l'ancien opposant Mohamed Khider, assassiné en 1967 à Madrid, revient ici sur ses rapports avec Hocine Aït Ahmed, et le combat de son père. L'homme reste marqué par le silence qui entoure l'assassinat de son père. Et pointe le doigt accusateur sur le pouvoir de l'époque de Houari Boumediene.

     

    Le Matindz : Vous venez de participer à l'enterrement de Hocine Aït Ahmed en Kabylie. L'homme vous était très proche. Janvier est décidément synonyme de deuil.

    Nous avons vu comment Aït Ahmed a été accompagné par le peuple à sa dernière demeure. C'est dire combien il est estimé. Trois jours après l’enterrement d’Ait Ahmed Hocine dans son village natale de Kabylie, le 03 janvier 2016 toute la famille et proches du défunt sont réunis pour se recueillir sur sa tombe. Cette date correspond également à l’anniversaire de la mort de Mohamed Khider, compagnon de lutte d’Ait Ahmed Hocine, assassiné le 03 janvier 1967. Ces deux grandes figures se rejoignent dans la mort et on célèbre dans la même journée le souvenir de ces héros de la révolution algérienne.

    Aït Ahmed et votre père Mohamed Khider étaient proches et parents. Que vous inspire sa disparition ? Leur compagnonnage ...

    C’est vrai que Mohamed Khider et Ait Ahmed étaient très proches. Ils avaient épousé les deux sœurs Toudert et donc il y avait un lien familial qui les rapprochait. Mais bien avant cette union, Khider était déjà très proches d’Ait Ahmed du fait du combat commun qu’ils menaient tous deux contre le colonialisme. Tous deux avaient des responsabilités au sein du PPA. Il faut se souvenir qu’entre novembre 1946 et juin 1951 Khider est élu sur la liste du MTLD député d’Alger à l’assemblée nationale française. Dans la même période, Ait Ahmed, en 1948, remplace Mohammed Belouizdad, affaibli par la tuberculose, à la tête de l’Organisation Spéciale (OS). Ces deux structures politiques dirigeaient le mouvement pour la lutte contre le colonialisme. Ils avaient pour tronc commun le PPA. Le MTLD luttait par la voie légale et exprimait ses revendications à l’intérieur et à travers les structures politiques de la France. L’Organisation Spéciale (O.S.), structure parallèle au parti du MTLD était chargée de former militairement des militants et des cadres en prévision d’un mouvement insurrectionnel. Des contacts étroits existaient entre les responsables des deux structures. Khider sera d’ailleurs en lien avec Ait Ahmed lors de l’attaque de la poste d’Oran qui s’était déroulée en avril 1949. Khider va mettre à disposition sa voiture officielle pour le transport des fonds volés. L’implication de Khider dans l’affaire de la poste d’Oran va amener les autorités françaises à vouloir l’arrêter dès la fin de son mandat en juin 1951. Pour éviter l’incarcération il s’enfuit donc au Caire pour poursuivre son combat pour l’indépendance. L’OS démantelée, Ait Ahmed est également poursuivi. Il s’enfuit également au Caire en avril 1952. Les deux hommes se retrouvent donc ensemble en Egypte et dirigent le bureau du Maghreb. Des liens très étroits les unissent. C’est d’ailleurs à cette période qu’ils se marient le même jour aux deux sœurs toudert. Ils feront partie également des 9 chefs historiques qui fondent le CRUA, organe politique qui va fixer la date de l’insurrection au lundi 1er novembre 1954 déclenchant ainsi la révolution algérienne. Il s’en suivra plus tard le détournement en 1956 de l’avion de 5 reponsables du FLN et leur emprisonnement en France jusqu’au printemps 1962. Autant d’évènements qui ont soudé leurs liens.

    Après l’indépendance, s’il semble qu’Ait Ahmed et Khider divergent dans leurs approches pour la mise en place d’un gouvernement légitime à la tête de l’Algérie, il n’en n’est pas moins sûr que tous deux étaient sincères dans leurs démarches. L’un, Ait Ahmed qui ne pouvait souffrir de voir mis en place un Etat soutenu à bras le corps par un Boumediene et un Ben Bella assoiffés de pouvoir et qui représentaient un danger pour la démocratie (l’histoire lui donnera raison) et l’autre, Khider Mohamed, confiant en Ben Bella, qui accepte l’union avec les militaires (l’armée de l'extérieur, dénommée aussi clan d’Oujda) dans le seul but d’éviter une guerre civile qui aurait été destructrice et à l’avantage sans aucun doute de ces derniers. Installé à la tête de l’Etat, le Bureau politique mis en place par Khider et Ben Bella devait organiser des élections démocratiques pour désigner les organismes politiques qui seraient chargés de diriger le pays. L’armée devait rentrer dans les casernes. Hélas, Ben Bella n’ira pas dans ce sens puisque, s’appuyant sur l’armée (qui le soutient comme la corde soutient le pendu), il mènera une politique de diktat entrainant le pays dans les bras de Boumediene. Là encore, Khider et Ait Ahmed se retrouvent unis dans le même combat contre la dictature de Ben Bella puis celle de Boumediene. Lorsqu’Ait Ahmed, le colonel Mohand Oulhadj, Si Abdelhafidh et d'autres moudjahidine prennent le maquis contre Ben Bella, Khider soutient et finance le mouvement insurrectionnel. Lorsqu’Ait Ahmed se fait arrêter et condamné à mort il prévient Ben Bella de ne pas s’aviser à toucher un cheveu à Ait Ahmed, et qu’en cas de malheur il est prêt à rentrer à Alger pour se confronter directement à lui. Durant l’incarcération d’Ait Ahmed, Mohamed Khider va agir en père vis-à-vis de ses enfants. Il s’occupera d’eux comme ses propres fils. De l’étranger, Mohamed Khider organise et finance également l’évasion d’Ait Ahmed de la prison d’El Harrach. Que de faits extraordinaires lieront ces deux héros de la révolution qui se sont véritablement donné à leur pays.

    La disparition de Khider assassiné en janvier 1967 par le régime de Boumediene, va affecter énormément Ait Ahmed qui se lancera dans une croisade acharnée contre le régime algérien les accusant ouvertement d’avoir commandité et fait exécuter le crime. Sur sa tombe, Ait Ahmed jurera de tout faire pour faire éclater la vérité sur ce crime et s’engagera à prendre en charge comme un frère sa veuve et comme un père ses enfants. La disparition de Hocine Ait Ahmed a donc été pour moi la perte d’un second père.

    Avec Yaha Abdelhafidh, il a fait partie des proches soutiens, je crois savoir, de votre famille lors de l'assassinat de votre père à Madrid en 1967.

    Vous évoquez le nom de Si Abdelhafidh Yaha. Je vous remercie de le faire car j’ai pour cet homme des sentiments de considération, de respect et d’admiration du fait de son parcours durant la guerre de libération et pour ses prises de position et son action après l’indépendance. Son honnêteté et sa fidélité pour la cause qu’il défendait l’honore. C’est un homme d’une très grande envergure. Il a été d’un très grand soutien pour Ait Ahmed. C’est incroyable qu’ils se soient séparés. Je crois que certaines décisions prises par Ait Ahmed ont choqué Si Abdelhafidh, notamment l’alliance contre-nature d’Aït Ahmed avec Ben Bella lorsque ce dernier (c’est le véritable mot) a été libéré. Concernant mon père, Abdelhafidh Yaha a reconnu l’aide qu’il avait apporté au mouvement du FFS. On ressent en lisant son dernier livre qu’il le considérait énormément. Son assassinat, j’en suis persuadé, l’a beaucoup affecté. Je me souviens aussi du soutien qu’il a apporté à ma mère lorsque celle-ci s’était révoltée contre l’Etat algérien pour n’avoir pas respecté ses engagements après la remise par la famille de la Banque commerciale arabe en 1979 (affaire des fonds du FLN). En effet, l’Etat algérien représenté par Kaddour Sator, mandaté par le ministre des Affaires étrangères Mohamed Benyahia, lors de la négociation pour la restitution de ce qu’on a appelé ‘‘le Trésor du FLN’’, s’était engagé auprès de la famille Khider à relater dans les journaux algériens et étrangers toute la vérité sur cette affaire des fonds et cela pour disculper Mohamed Khider des accusations d’escroquerie lancées par Ben Bella et plus tard par Boumediene. Or, rien ne se fera, hormis une petite déclaration dans le journal El Moudjahid qui donnait une version plutôt complaisante pour le régime algérien. Abdelhafidh Yaha va donc organiser une interview de ma mère avec le journal El Watan El Arabi. Cet article fera grand bruit puisque plusieurs personnalités opposantes au régime citées comme ayant bénéficié d’une aide financière par Mohamed Khider vont de façon étonnante réagir pour renier cette aide. Il s’agissait notamment de Boudiaf et de Boumaaza. D’autres tel que Bitat ont préféré ne pas réagir pour ne pas entrer dans la polémique. Le soutien de Si Abdelhafith envers nous a donc toujours été total et à la hauteur de l’homme qu’il est, fidèle à ses compagnons de lutte et à leurs familles.

    Quel souvenir gardez-vous de Hocine Aït Ahmed ?

    J’en garde le souvenir que peut avoir tout d’abord un enfant devant des statures aussi imposantes. Devant nos yeux d’enfants, les deux personnages semblaient magiques. Très souvent absents du fait de leurs combats, lorsqu’ils apparaissaient devant nous (mes cousins, mes sœurs et moi-même), nous étions impressionnés et en même temps heureux de les voir. Je dirais que je garde plus de souvenirs d’Ait Ahmed que de mon père, puisqu’il s’occupera de nous pendant plus de 8 ans après la mort de mon père. J’avais alors 12 ans et vous connaissez sûrement l’importance de cette tranche de vie qui se situe à l’adolescence. Ait Ahmed a donc véritablement agi en père, prenant mon éducation en main et je l’en remercie. De caractère difficile, un peu rebelle, j’ai sûrement dû lui rendre la tâche difficile. Mais il a véritablement assumé sa tâche de deuxième père, toujours derrière moi pour mes études et me conseillant souvent.

    Comme on le sait, janvier correspond à la date anniversaire de l'assassinat de Mohamed Khider (3 janvier 1967). C'est un souvenir difficile surtout si l'on sait qu'on n'a jamais jugé ses assassins ?

    Vous savez, il n’y a pas de jours qui passent sans que j’aie une pensée pour mon père. Je vis à Casablanca où il repose et je passe très souvent devant les murs qui entourent le cimetière des Chouhadas où il est enterré. Un poteau dépasse ce mur et indique exactement l’emplacement de sa tombe. Ce poteau est le porte-drapeau algérien. Hélas, aucun drapeau ne flotte. On est au Maroc, et les autorités algériennes avaient demandé aux responsables du pays de ne pas laisser flotter cette bannière ! C’est donc toujours le cœur serré, mais fier aussi, que je passe devant ce cimetière. Chaque année, à l’occasion de l’anniversaire de sa mort, je ne manque pas de parler de lui, d’écrire un mot dans les journaux. A chaque fois, je me prends à me dire combien il a été injuste qu’un homme de cette envergure ait pu être assassiné aussi froidement. Quelle perte pour son pays et pour le Maghreb, quelle perte pour l’humanité. Mais en tant que croyant, je sais qu’il nous observe et qu’il se trouve au royaume de Dieu et qu’un jour viendra où justice lui sera faite ici-bas, dans sa patrie qu’il a tant aimé. Nous savons tous pourquoi et par qui il a été tué. Ce que j’espère c’est que sa lutte pour la démocratie aboutisse enfin dans son pays. Ce sera seulement à ce moment-là que la vérité sera mise au grand jour.

    On croit savoir que vous préparez un ouvrage de souvenirs de Mohamed Khider ?

    Effectivement. J’espère le faire publier en cour de cette année. Il est quasiment terminé. Mais vous le savez sûrement, on a toujours l’impression qu’un livre n’est jamais achevé. Il y a sûrement beaucoup encore à dire. Ce livre parlera de sa vie, de ses idées, de son assassinat et de l’affaire des fonds du FLN. Je crois savoir qu’un autre livre se prépare sur lui, écrit par un militant maghrébin. Toutes les bonnes volontés sont bonnes à prendre.

    Entretien réalisé par Hamid Arab

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